Jornal LIBÉRATION


Un non événement

Roger FELTS Psychiatre Wanadoo

04.10.97


Septembre 1997

Positionnement du problème :

Au moment où se sont passés les faits que je vais vous raconter, un événement de dimension planétaire, voire universelle a eu lieu... Même si vous ne lisez pas le Monde, France Soir ou la Pravda, même si vous ne regardez pas TF1 ou Arte, même si vous n'écoutez pas France Inter, France Culture ou Radio Splash, vous ne pouvez y avoir échappé... J'éviterai donc d'en parler. Pourtant à ceux qui, sourds, muets, aveugles et tétraplégiques, séjournaient ce jour là sur une île déserte, je concède une ignorance non coupable. Je les informe donc qu'il s'agissait d'un fait divers rangé habituellement par la presse dans la rubrique dite "des chiens écrasées". Y était impliquée la mère du petit fils de la reine d'un pays dont les habitants sont communément appelés "rosbifs". L'extrême sensibilité de cette population vis à vis de ce drame m'amène d'ailleurs à proposer qu'on les appelle plutôt "tendrons de veaux"... Une idée lumineuse n'arrivant jamais seule ; leurs voisins, très trivialement qualifiés de "mangeurs de grenouilles", ne méritent-ils pas plutôt qu'on les affuble du titre "d'avaleurs de couleuvres" ?

le 3 septembre 1997

Bonjour

J'ose le paradoxe d'envoyer au digne représentant d'un grand quotidien d'information du matin l'HISTOIRE D'UN NON-ÉVÉNEMENT :

Mademoiselle D., pauvre petite fille pauvre, eut bien du mal pour obtenir son diplome d'aide-puéricultrice. Elle se maria à dix-huit ans et demi à Gustave qui n'a jamais trop bien compris la dimension abyssale des difficultés existentielles de son épouse... Assise face à la Seine, du côté du pont de l'Alma, à deux pas du zouave, dans les bras de son amant, tendrement enlacée, le visage appuyé sur son épaule large et ferme, elle levait les yeux vers le ciel d'un noir d'encre où une étoile filante venait de dessiner une courbe en forme de croissant... Soudain, elle reconnut sur le parapet du pont le visage rouge de colère de Gustave, qui, un appareil photo en bandoulière sur l'oeil droit, saisissait d'un index saccadé et rageur la scène compromettante dans laquelle elle était incontestablement actrice. Prise d'une panique sans nom, elle s'arracha des bras de son galant et, terrorisée, courut à grandes enjambées chancelantes vers la voie rapide qui longeait la Seine, sans prendre garde de jeter un oeil à gauche puis à droite puis à nouveau à gauche. Une Mercédes, roulant à plus de cent quatre-vingt dix kilomètres à l'heure, la percuta de plein fouet. Son pauvre petit corps, tout pantelant, s'éleva dans les cieux... Personne ne l'a plus jamais revue. Seul signe sensible de ce non événement : une grande tâche rouge sur le pare-brise avant de la Mercédes. Le conducteur dont le champ de vision était déjà notablement réduit par un diabète d'origine éthylique, eut comme un éblouissement écarlate. Il ne vit pas que la voûte du tunnel du Pont de l'Alma était soutenue par des piliers en béton brut de Bouigue... beaucoup plus dur que l'acier allemand !

Nous nous sommes longuement interrogés sur le mystère de la disparition de mademoiselle D., pour finalement formuler deux hypothèses : - ma femme croit quelle est montée tout droit au ciel... Ma femme est par ailleurs pour Lady Di et contre Charles. - je pense, car je suis rationaliste (elle croit, je pense), que le corps de mademoiselle D. a atterri dans les branches hautes et denses d'un feuillu. Quand l'automne sera plus avancé et que les feuilles mortes tomberont à la pelle, on découvrira son corps décharné, déchiqueté par les corbeaux de la Tour de Londres, non, du bossu de Notre Dame... Je suis par ailleurs pour Charles, et contre la monarchie.

R. F. tenant d'un journalisme de papa rassis.

P.S. : Je prie pour la résurrection de Léon Zitrone...

Cinq jours après !

Positionnement du problème : Mère Thérésa, trop modeste pour se sentir digne d'un tel hommage, n'a pas supportée qu'on la compare à Lady Di. Sous le choc, elle est victime d'une brutale poussée hypertensive et passe l'arme à droite cinq jours après que son altesse royale, son alter égale ait passé l'arme à gauche.

...Une fois de plus, la presse...

Le 8 septembre 97 M. Serge JULY Président du présidium suprême de LIBERATION

Bonjour mais avec réticence

Indigné, je vous écris, pour m'élever avec la plus grande fermeté contre la place accordée dans votre journal à mère Thérésa à l'occasion de son décès... Elle est vieille, elle est moche, elle est morte dans son lit, elle n'a jamais été mariée à un prince, elle n'a jamais eu d'amants (ou du moins la presse n'en a jamais parlé), elle n'a jamais rien enfanté - pas même un vague petit prince du Liechtenstein - elle ne fréquente même pas les hôtels Ibis et qui plus est, pas un paparazzo n'a pu obtenir d'elle une photo en maillot de bain brésilien... Donnez moi le quart de la moitié d'un début de raison pour lui accorder plus de trois lignes dans la rubrique nécrologique de Libération ? Payante, bien sur ! * Amicalement mais avec réticence

* Mais j'aurais suggéré au journal d'accorder à sa nombreuse famille une réduction... Il y a des moments où mieux vaut savoir ne pas mégoter.

ET SURTOUT, GOD SAVES CHARLES

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