Des images et des hommes

Qu'aurait pensé le petit malade tenu dans les bras de la princesse d'avoir un jour son image dans Le Monde ?

François Jost* Le Monde 05/09/1997

Le difficile exercice auquel se livrent les médias audiovisuels depuis quelques jours, consistant à séparer le bon grain de l'ivraie, trouve ses limites avec la révélation de l'identité des photographes mis en examen. Ainsi, parmi «ceux qu'on appelle des paparazzi», comme le répétait avec un peu de dégout le présentateur de LCI, se trouvaient des professionnels mondialement connus pour la qualité de leurs reportages, comme Jacques Langevin, de l'agence Sygma!

Cette nouvelle devrait inciter ceux qui firent de l'info en continu pendant deux jours, peut-être pas à de l'autocritique - ce serait beaucoup demander mais au moins à une réflexion sur la nature des images circulant dans nos journaux et sur nos écrans, et à leur qualification. L'un des paradoxes de la télévision fut, en effet, de condamner, le matin, ceux qui voulaient prendre une photo par la vitre d'une voiture, les paparazzi, les voleurs, et de glorifier, le soir ceux qui montraient le visage grave du prince Charles à l'arrière du véhicule qui suivait le corps de son ancienne épouse...

Si un journaliste qui passait par là, à en croire ses dires, est mis en examen pour non-assistance à personne en danger, que faudrait-il dire de celui qui a pris la photo d'une petite fille fuyant sous les bombes au napalm nue sur les routes du Vietnam, des équipes qui accompagnaient le regard de la petite Colombienne s'enfonçant inexorablement dans la boue, de ces touristes qui filmèrent une voiture et ses occupants surpris par la montée de la mer au Mont-Saint-Michel, et que la télévision diffusa à l'envi ?

La liste est longue des morts, des malades et des blessés qui se retrouvent dans le journal sans l'avoir demandé. Ce qui me paraît très révélateur de l'état des médias, c'est moins l'accident de Diana lui-même, dont il n'est pas encore prouvé que la cause directe soit l'exercice de la prise de vue, que le fait que l'interrogation sur la relation de la photo au photographié surgisse à propos d'une personne qui, peu ou prou, appartenait au monde de la communication et non à propos d'un citoyen ordinaire et anonyme. Qu'aurait pensé le petit malade tenu dans les bras de la princesse d'avoir un jour son image dans Le Monde ? Il ne s'agit pas, bien sur, de défendre le geste des vampires de l'image, mais j'y vois un nouveau moment dans la mise à mal de cette illusion de la transparence qui, quoi qu'on en ait dit, reste le mode d'appréhension majoritaire de l'image. Avec Timisoara, la société découvrait qu'aucune image ne prouve rien par elle-même. Avec le dramatique accident de Diana, elle prend conscience que derrière les images il y a aussi des hommes et que les images nous « poignent », comme disait Roland Barthes, que pour autant elles sont aussi un regard humain. Toute la question est de savoir à quelle humanité nous voulons appartenir...

*François Jost est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-III.

 * Texto publicado pelo jornal francês LE MONDE

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